De Sigmarii Religione

Les cierges illuminaient péniblement le scriptorium, laissant les recoins dans les ombres. Les grandes fenêtres en arc d'ogive s'ouvraient sur la nuit du mois d'Ulriczeit, et la froidure de l'extérieur n'était que difficilement refoulée par les grands braseros entretenus par les novices. Au delà des grattements de plume, les seuls bruits venaient des craquements du charbon de bois, des pas traînant des novices et de la voix douce du Cantarius chantonnant les litanies de Saint Freduirius. La dizaine de frères copiste était penché sur leur lutrin, recopiant diligemment les tomes sacrés du culte ou transcrivant les nouvelles des fronts. Les messagers étaient arrivés durant toute la journée au monastère, en provenance d'endroits aussi divers que le Nordland, la Terre des Morts, Kislev ou Altorf. L'Eglise de Sigmar a des espions partout, les archilecteurs aimant se tenir au courant de ce qui se passait dans l'Empire.

Le copiste Plaucus était un fervent serviteur de l'Eglise. Depuis son entrée au monastère, il avait bien compris quelle était sa place au sein du Grand Oeuvre de Sigmar. Pas assez costaud pour porter les armes, pas assez intelligent pour participer aux grands débats théologiques, il était naturellement devenu un des petits rouages qui rendaient possibles la survie de l'Empire. Ayant une affinité naturelle avec les livres et l'écriture, il avait facilement trouvé son bonheur dans le scriptorium du monastère. Il copiait depuis déjà plusieurs années dans les grands registres les évènements concernant les forces qui combattaient l'Ennemi Ancestral. Le défilé des pertes et des levés lui faisait mal au coeur, lorsqu'il pensait à toutes ces vies sacrifiées sur l'autel de la guerre. Heureusement, mourir lors d'un tel combat rendait quasi certain l'ascension à la droite de Sigmar.

Une fois déjà, quelques temps auparavant, il avait levé sa plume lors d'une séance de copie, en se rendant compte qu'il venait d'inscrire dans le registre des Vétérans du Coeur Ardent le frère Düthor, un de ses compagnons de noviciat. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour se dire qu'il était parfaitement à sa place au sein d'une compagnie militaire. Déjà novice, il ne jurait que par son marteau et ne cessait de parler de tous les ennemis qu'il allait occire. Sigmar avait été bien inspiré de lui faire rejoindre les Ordres combattants. Il avait profité des renseignements qu'il glanait pour envoyer un courrier à son vieux camarade. Ils avaient depuis échangé de nombreuses lettres, et Plaucus avait, grace à elles, l'impression de combattre sur le front lui aussi, connaissant par leur nom nombre de Vétérans. Il était capable de dire avec précision qui le frère Düthor appréciait, et qui il n'appréciait pas.

Et en cette soirée, il leva une seconde fois sa plume. Le message qu'il retranscrivait l'informait du départ de certains de Vétérans, qui allaient créer une nouvelle compagnie, certainement pour des raisons propres à ces esprits elfiques. Plaucus n'avait jamais rencontré de membres des anciennes races, même pas de nains. Il n'avait qu'une seule fois entraperçu un nain au loin dans une des rues d'Altdorf, et encore l'avait-il très mal vu au sein de la grande foule de la capitale. En soi, que des elfes se séparent des autres races, au vu des rumeurs qui les concernaient, cela pouvait être assez normal. Mais ce qui l'avait interpellé, c'était les noms des elfes concernés. Il s'agissait de nom qui revenait souvent dans les lettres de Düthor, et qui désignaient les personnes qu'il appréciait le plus. Le pauvre prêtre allait se voir séparer de personnes qui comptaient énormément pour lui, et la compassion naturelle de Plaucus le poussa à prier pour son vieil ami.

L'abbé Lodesheim était parti en grande conversation avec le prieur Vladimir, personne ne le surveillait. Plaucus se mordit la lèvre, puis se dit rapidement que Sigmar lui pardonnerait un petite entorse, surtout lorsqu'elle était commise dans l'intérêt d'un de ses plus fervents adorateurs. Le copiste se saisit d'une chute de parchemin, de sa plume et commença à y copier l'emplacement du camp de cette nouvelles compagnie. Il l'enverrait à Düthor dans sa prochaine lettre, afin qu'il puisse leur rendre visite facilement. Son ami lui serait certainement reconnaissant de lui permettre de garder contact facilement avec des personnes qui lui étaient aussi cher.

Personne ne semblait avoir remarqué son geste. Il glissa rapidement le morceau de parchemin dans un repli de sa robe, et recommença à copier les informations, marmonnant des prières de contrition pour son acte vil. Sigmar comprendrait certainement... Oui, Sigmar était bon, il comprendrait.

(à suivre)